Un jour, après zazen, un moine demanda à Yakusan :
– « Quand vous êtes assis comme une montagne immobile, comment pensez-vous ? »
– « Je pense à partir de la non-pensée » répondit le maître.
– « Mais comment pense-t-on à partir de la non-pensée ? »
– « Hishiryo ! au-delà de la pensée.« 

La question de la “non-pensée” est un des sujets qui revient souvent dans les questions des personnes qui approchent la méditation. Pour beaucoup, l’arrêt des pensées est une espèce de but en soi. Bien sûr c’est un objectif qu’on aurait plaisir à atteindre quand on a la tête pleine d’une tempête de pensées sans queue ni tête, traversée d’intentions incohérentes, de désirs et de peurs… Mais les choses ne marchent pas comme ça !

Voilà ce que Osho en disait : “Chaque fois que quelqu’un commence à s’intéresser à la méditation il commence par essayer d’arrêter de penser. Si vous essayez d’arrêter vos pensées, elles ne s’arrêteront jamais car l’effort même d’arrêter est en soi une pensée, l’effort même de méditer est une pensée, celui d’atteindre la bouddhéité est une pensée. Comment voulez-vous arrêter une pensée par une autre pensée ? Comment pouvez-vous arrêter le mental en créant un autre mental ? Alors vous vous accrocherez à l’autre et cela continuera jusqu’à l’écœurement, cela n’aura pas de fin”.

Il faut comprendre un peu de la nature de la pensée pour adopter une attitude juste. La pensée en soi n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle fait partie du fonctionnement de notre corps. Au même titre que l’oreille nous alimente en sons, que l’œil propose des images, que notre peau et nos viscères nous remplissent de sensations, le cerveau fournit des pensées. Il trie, évalue, compare, recombine. Il réarrange les images du passé, invente celles du futur, conçoit des solutions, des arrangements inédits. C’est son boulot, et il le fait plutôt bien.

Alors pourquoi nous sentons-nous envahi par l’activité de cette partie de nous-même ? Parce que, nous percevons bien qu’il y a dans la pensée quelque chose d’inconstant, d’évanescent, une substance en renouvellement permanent dont on ne peut trouver le point fixe. Si nous nous identifions à ce que nous pensons, nous sommes condamnés à être balloté de gauche et de droite sans repos.

Voulons-nous arrêter la pensée ? Non. Nous voulons nous reposer sur l’espace derrière la pensée, ce que nous pouvons appeler le vaste champs de la conscience, et il est bien différent du mental.

Comment ?  Les différentes traditions proposent essentiellement deux “méthodes d’entrainement” : la concentration, et l’observation.

La concentration, consiste à occuper l’esprit et les sens par la focalisation sur un objet neutre : par exemple la respiration, ou une bougie, ou un point dans l’espace. En faisant cela nous libérons de la place pour qu’émerge une conscience plus large – non-pensante – mais bien réelle.

L’observation, c’est devenir spectateur de ce qui se passe dans le présent : ressentir, entendre, regarder les pensées aller et venir. De cette position d’observateur, j’apprends à mieux comprendre le mode de fonctionnement de la pensée. Et surtout, je peux commencer à sentir, à percevoir la non-pensée, c’est à dire l’espace qui existe hors de la pensée.

Le Zen a un mot désigner cela : Hishiryo, souvent traduit par la pensée du tréfonds de la non-pensée. Il ne s’agit pas de penser, il ne s’agit pas de ne plus penser, il s’agit d’exister et d’agir à partir de l’espace de la conscience, la source où la vie se construit instant après instant. Mais ceci étant au delà des mots, il est grand temps que je me taise !